Près d’une semaine après l’enlèvement qui secoue la famille d’Élie Kamano, la tension demeure vive et l’émotion ne retombe pas. Le rappeur engagé, devenu l’une des voix les plus critiques de la transition guinéenne, voit aujourd’hui sa vie bouleversée par la disparition de ses enfants, ainsi que de deux autres proches. Une affaire qui prend une dimension politique depuis la sortie de ses avocats, Me William Bourdon et Me Vincent Brengarth, décidés à interpeller directement le chef de l’État.
Dans leur lettre ouverte adressée au président Mamadi Doumbouya, les deux avocats dressent un tableau sombre, marqué par un silence officiel qu’ils jugent lourd de sens. Pour eux, l’absence totale de réaction des autorités, malgré la gravité des faits, alimente les craintes d’Élie Kamano et jette un voile encore plus opaque sur les circonstances de ce rapt. Ils rappellent que l’artiste n’est pas seulement un musicien, mais aussi une figure influente suivie par des milliers de jeunes, et dont les prises de position dérangent parfois le pouvoir.
Cette lettre revient également sur le parcours d’Élie Kamano, présenté comme un citoyen qui a longtemps espéré un tournant démocratique sous la transition. Il avait accepté d’échanger, de conseiller et d’apporter son expérience lorsque les autorités le sollicitaient. Mais face aux nombreux rapports d’ONG évoquant une intensification des violations des droits humains, aux médias de plus en plus restreints et à l’espace politique étouffé, l’artiste a fini par renouer avec sa posture critique et son engagement public.
Selon ses avocats, cette liberté de ton, exprimée à travers ses œuvres et ses publications, aurait fini par lui attirer de puissantes inimitiés. Ils affirment que leur client soupçonne désormais le régime d’être lié à la disparition de ses enfants. Un soupçon qu’ils justifient par le mutisme des autorités et par le climat de répression dénoncé ces derniers mois, autant par des observateurs nationaux qu’internationaux.
S’appuyant sur l’appel récent du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, qui a exhorté la Guinée à agir immédiatement, les avocats posent un ultimatum clair : si les autorités sont impliquées, elles doivent libérer les victimes sans délai ; si elles ne le sont pas, elles ont l’obligation morale et institutionnelle de tout mettre en œuvre pour leur retour sain et sauf.
Dans cette affaire qui prend une tournure diplomatique, Me Bourdon et Me Brengarth annoncent avoir saisi le Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées. Ils se déclarent même prêts à se rendre à Conakry pour suivre le dossier de près, preuve de la gravité qu’ils accordent à cette situation.
La Guinée retient désormais son souffle, suspendue à une éventuelle réaction officielle qui pourrait non seulement éclairer cette disparition, mais aussi révéler beaucoup sur l’état des droits et libertés dans le pays.
Mamadouba CAMARA