Crise en haute mer : le Puntland intercepte une cargaison militaire turque destinée à Mogadiscio

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Une nouvelle escalade des tensions vient raviver les fractures institutionnelles et politiques qui minent la Somalie depuis des décennies. Le 19 juillet, un incident maritime survenu au large de Bareeda, dans le golfe d’Aden, a ravivé les dissensions entre Mogadiscio et le Puntland, région semi-autonome du nord-est du pays.

Un cargo de 80 mètres, le Sea World, battant pavillon comorien, a été arraisonné par la marine du Puntland. Ce navire transportait, selon les autorités somaliennes, une cargaison d’équipements militaires en provenance de Turquie, destinée au centre de formation militaire Turksom situé à Mogadiscio et géré par le gouvernement turc.

Le gouvernement fédéral somalien a immédiatement réagi avec fermeté. Dans un communiqué publié le 23 juillet, Mogadiscio a dénoncé un « acte de piraterie » et un « détournement illégal d’aide militaire étrangère », accusant les autorités du Puntland de violer les accords de coopération internationale. « Il s’agit d’un sabotage de la reconstruction de notre appareil sécuritaire », a déclaré un porte-parole du ministère de la Défense à Mogadiscio.

De son côté, le Puntland se défend en évoquant des « raisons de sécurité nationale ». Selon ses autorités, le navire aurait transporté des équipements sans notification préalable ni coordination avec les forces locales, ce qui constituerait une menace potentielle dans un contexte déjà volatile. « Nous avons le droit de protéger notre territoire contre toute livraison suspecte d’armes, même si elle est estampillée comme légitime par Mogadiscio », a déclaré un haut responsable sécuritaire du Puntland.

Cet incident est loin d’être isolé. Il s’inscrit dans un climat de méfiance croissante entre le gouvernement central et les entités fédérées. Le Puntland, qui jouit d’une large autonomie depuis 1998, accuse régulièrement Mogadiscio de centraliser le pouvoir et d’ignorer les prérogatives des États membres. En retour, le pouvoir central dénonce l’attitude « sécessionniste » du Puntland et son refus de coopérer sur des dossiers sensibles, notamment la sécurité et la répartition de l’aide internationale.

La Turquie, partenaire militaire clé de la Somalie, se retrouve malgré elle au cœur de cette nouvelle crise. Depuis plusieurs années, Ankara investit massivement dans la formation des forces armées somaliennes à travers le centre Turksom, considéré comme l’un des piliers de la reconstruction de l’armée nationale. Si la Turquie n’a pas encore officiellement réagi à l’interception du cargo, cet incident pourrait fragiliser son rôle de médiateur et d’allié stratégique dans la région.

Au-delà de l’incident en mer, c’est l’avenir même du projet fédéral somalien qui se trouve une fois de plus mis à l’épreuve. L’absence de coordination entre les différents niveaux de pouvoir, la méfiance institutionnelle et les enjeux géopolitiques — y compris la lutte d’influence entre puissances étrangères — compliquent considérablement la stabilisation du pays.

Dans les jours à venir, la manière dont cet incident sera géré pourrait définir la nature des relations futures entre Mogadiscio et les régions autonomes. Un apaisement par le dialogue est possible, mais il nécessiterait des garanties mutuelles et un engagement sincère à renforcer le cadre fédéral. Faute de quoi, la Somalie risque de s’enliser dans une fragmentation plus profonde encore, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour la sécurité régionale.

Mamadouba CAMARA

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